La letter des décideurs n°29

Le grand déménagement

Luc Williamson
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Le grand déménagement
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Avec le recul, on peut affirmer que la pandémie a amplifié des tendances que les sociologues avaient observées.

Parmi ces signaux dénommés « faibles », le phénomène de l’exode urbain. On déserte la très grande ville. On ne sait pas si le bonheur est dans le pré, mais la métropole ne correspond plus forcément aux aspirations des citoyens qui remettent aussi en question leur environnement professionnel. Dans ce contexte, on verra que le rapport au travail change et qu’il va bouleverser durablement l’organisation des entreprises. Il ne tient qu’à elles de s’y préparer.

Télé-travaillons, citoyens !

Pour certains, ce fut une découverte. Pour les autres, la pandémie est venue confirmer une intuition : il peut faire meilleur de travailler chez soi qu’au bureau. Vu d’abord comme une exception, le télétravail est devenu une habitude, au point d’obliger le législateur à revoir le code du travail. Désormais, travailler de chez soi n’est pas seulement permis, c’est encouragé.

Pourquoi le télétravail s’est-il autant généralisé ?

Parce qu’il contribue à un rééquilibrage salutaire entre vie professionnelle et vie personnelle. Limiter les transports et rester chez soi libèrent un temps précieux, qui peut être consacré à la famille, aux amis, à des passions ou des hobbys autrefois sacrifiés. Le confort de vie s’en voit augmenté de façon significative. Si le télétravail fait quasiment l’unanimité, c’est qu’il va dans le sens de l’histoire. Il est en phase avec les préoccupations du moment : réduire les déplacements et consommer plus localement.

En clair : « Restez où vous êtes, c’est bon pour la planète ». Le management des entreprises s’est rendu compte que les voyages d’affaire, autrefois si nécessaires, perdaient leur caractère systématique.

Les nouvelles technologies boostées par la pandémie autorisent une nouvelle forme d’ubiquité.

L’envers de ce nouveau décor

À la lecture de ces lignes, on serait en droit de tenir une posture optimiste. Ne nous leurrons pas !

Ces nouveaux paradigmes ont fait surgir d’autres difficultés. Hors-les-murs du bureau, le travail en équipe s’avère compliqué. Beaucoup de salariés souffrent d’isolement psychologique.

La performance de l’entreprise n’est pas toujours corrélée à la libéralisation des emplois du temps de son personnel. Le management traditionnel, quant à lui, est remis en question : moins de verticalité et plus de responsabilisation, moins de reporting et plus de coaching. Pour les DRH, cela tient parfois du casse-tête. Comment faire coïncider les aspirations des salariés avec la performance exigée. À vouloir trop de souplesse, ne sommes-nous pas en train d’accroître les dysfonctionnements ?

Il n’y a pas d’échappatoire possible, car les générations se rejoignent. Les nouveaux entrants s’intéressent moins à leur carrière qu’à l’intérêt des projets qu’on leur propose à court terme et à leur confort de travail. Ils veulent plus d’évolution et de mobilité interne. Les plus anciens, eux, se fatiguent de courir et privilégient des modes de vie moins centrés sur l’entreprise. Le « slashing » - signe des temps - est plébiscité par toutes les générations.

Promouvoir le maillage local

C’est pour « travailler à la campagne » que les citadins s’enfuient. Prix du foncier, temps disponible, coûts de la vie… Le calcul est vite fait. Mieux vaut partir. Notre beau pays redécouvre ses régions, autrement que par les belles images du Tour de France. La décentralisation a du bon. Les régions n’ont pas attendu Paris et la pandémie pour s’épanouir. Le tissu économique est riche, des Hauts-de-France à l’Occitanie, en passant par la Vendée.

Cette réalité va donner aux entreprises qui disposent d’un maillage régional suffisamment dense un avantage concurrentiel non négligeable. Délocaliser les salariés n’est plus une contrainte, mais une opportunité. Dans l’entreprise 3.0 qui se dessine, la mobilité professionnelle est simplifiée, encouragée, synonyme de réussite. Mieux, accentuer sa présence localement permet d’être plus pertinent, plus proche de ses clients. Épanouissement du salarié et performance de l’entreprise coïncident enfin.

C’est un retour à la nature et aux fondamentaux qui s’annonce. Ne sous-estimons pas les bouleversements qu’il entraînera. Si la décentralisation se poursuit, les pouvoirs publics devront l’orchestrer en augmentant les infrastructures là où elles font défaut (ex : santé, éducation, transports, culture, connectivité).

Quant aux entreprises, outre la nécessité de s’implanter régionalement, elles devront gérer ce nouveau rapport au travail qui, aussi bénéfique soit-il, ne manque pas d’effets pervers. La difficulté de se déconnecter est le plus grand d’entre eux.