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Le salaire décent

Eric Alonso
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Le salaire décent
Une aubaine pour les salariés ou usine à gaz réglementaire ?

Entre future obligation internationale de la CSRD (directive sur la responsabilité sociale et environnementale) et argument choc de recrutement des salariés moins qualifiés ou en premier emploi, la définition d’un salaire décent est-elle l’incontournable RH de 2025, alors même que grandes entreprises et politiques commencent à communiquer sur le sujet ?

Salaire décent : de quoi parle-t-on exactement ?

La définition la plus large et internationale d’un salaire décent, dit aussi salaire adéquat, est la suivante : un salaire qui permet la satisfaction des besoins du travailleur et de sa famille dans les conditions économiques et sociales où ils résident. Certains organismes sont encore plus précis : ce salaire fait vivre une famille de quatre personnes, en couvrant les besoins du quotidien (alimentation, transport, logement, santé) mais aussi en constituant une épargne de précaution. Cette approche relève clairement du « mieux vivre de son travail », formule que l’on entend régulièrement en France.

La directive CSRD (application directe de la RSE) intègre cette notion dans ses obligations de reporting, à minima pour les grands groupes internationaux, pour 2026 (pour les plus petites entreprises, un décalage temporel reste possible en France dans le cadre des politiques d’allègement réglementaire).

Comment s’y prennent les entreprises françaises pionnières en la matière ?

Le sujet est encore neuf pour la plupart des entreprises, il est vrai que la définition du salaire décent en tant que telle ne donne pas de formule de calcul évident. Les sociétés pionnières ont en général procédé en croisant deux valeurs de référence, puis en les comparant aux plus bas salaires de leurs périmètres. Ces deux valeurs sont d’une part le salaire médian du pays (en général disponible via l’OCDE) divisé par deux et d’autre part, les living wages calculés par des fondations ou associations telles que la Wage International Foundation ou le Fairwage Institute.

Si un simple tableur permet ensuite d’identifier le nombre de salariés dont le salaire fixe brut (hors variable, hors protection sociale) est en dessous de ces deux références moyennées, la démarche se complexifie dès lors que l’entreprise a de multiples implantations dans un même pays : ainsi, pour plusieurs entreprises, le salaire décent des équipes parisiennes n’est pas le même que celui des collaborateurs travaillant en régions, pour notamment tenir compte du coût du logement. Les analyses peuvent ensuite être approfondies au regard des types de métiers et de compétences, de l’état du marché local de l’emploi, du niveau des diplômes, et les salaires fixes de comparaison être complétés par les primes garanties ou l’intégration, pertinente dans certains pays, des couvertures sociales.

Les premiers effets : des avantages limités mais un investissement faible pour les très grandes entreprises, une vraie problématique pour les autres

Les premiers résultats chiffrés commencent à être disponibles, et ils sont très convergents pour les entreprises françaises de grande taille : les comparaisons réalisées montrent qu’en général moins de 5% de leurs employés ont un salaire en deçà du salaire décent, chiffre qui tombe à moins de 3% quand on intègre des éléments variables garantis, et à moins de 1% pour la France.

Autant dire que sur ce périmètre France, un nombre limité d’actions, dont certaines simplement de correction d’anomalies, permettent d’atteindre l’objectif. Pour un investissement assez faible, l’entreprise peut ensuite non seulement être conforme à la CSRD, mais aussi communiquer en interne et en externe sur sa responsabilité sociale et sa politique de rémunération, renforçant ainsi à la fois attractivité, image et rétention.

C’est une autre affaire pour les entreprises de taille moins importante à forte main d’œuvre peu qualifiée et à faible marge, qui auront du mal à s’aligner sur un salaire décent selon les calculs précédents, alors même qu’elles représentent en France la grande majorité des salariés dont la rémunération est proche du minimum légal. La prise en compte de primes et d’autres avantages, la mise en place d’une trajectoire de revalorisation sur plusieurs années, la différenciation accrue des salaires selon les territoires sont quelques pistes qui pourraient les amener à converger vers un salaire décent.

Véritable réflexion sociale, la notion de salaire décent appuyée sur des modes de calcul standardisés, est dans tous les cas une interrogation légitime et un bon exercice de comparaison de ses rémunérations sur le marché. Il y a fort à parier que si de nombreuses entreprises font l’analyse en 2025, les actions consécutives seront quant à elles beaucoup moins prévisibles.