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Le devoir de vigilance européen

Michela Navarra
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Michela Navarra
Le devoir de vigilance européen
Impacts et changements apportés par la Directive Omnibus

Le 26 février dernier, la Commission européenne a dévoilé le paquet de lois Omnibus, destiné à simplifier trois importants textes du Pacte Vert européen. L’objectif de cette initiative législative est de réduire les charges administratives. Ce projet s’inspire des recommandations de plusieurs rapports (rapports Draghi et Letta notamment), qui préconisent une simplification réglementaire afin d’éviter « une perte de 10 % du PIB potentiel de l’UE ».

La Commission européenne affirme que les objectifs climatiques et sociaux de l’Union européenne demeurent inchangés. Les textes impactés sont la directive CSRD, la directive sur le devoir de vigilance européen (CS3D), et le règlement sur la taxonomie verte européenne.

En ce qui concerne le devoir de vigilance au niveau européen, abordé par la CS3D, des modifications significatives sont proposées. La diligence raisonnable serait limitée aux seuls partenaires commerciaux directs, à savoir les fournisseurs et sous-traitants de rang 1 pour les produits et services, excluant ainsi l’ensemble de la chaîne de valeur. Toutefois, l’entreprise pourrait aller au-delà de cette exigence en incluant les fournisseurs et sous-traitants de rang 2 ou inférieur. Cela serait envisageable si elle dispose d’éléments plausibles indiquant des atteintes aux droits humains ou à l’environnement dans les chaînes d’approvisionnement concernées, conformément à la législation allemande.

La directive concerne, dans tous les cas, les collaborateurs commerciaux directs impliqués a posteriori des activités, à savoir, les acteurs liés au transport, au stockage et à la distribution des produits (les services étant exclus).

Un autre changement majeur concerne la notion « d’harmonisation maximale », empêchant les États membres d’adopter des réglementations nationales allant au-delà des exigences européennes en matière de protection des droits humains et de l’environnement. En ce sens, les articles 6, 8, 10, 11 et 14 de la directive consacrent le principe d’harmonisation maximale, limitant la marge de manœuvre des États membres. Toutefois, des exceptions sont prévues pour certains produits, services ou situations présentant un risque élevé.

Par ailleurs, la nouvelle législation Omnibus restreint la définition des parties prenantes. En effet, certaines catégories ont été supprimées, notamment l’utilisation du terme « groupes » pour désigner les groupes de consommateurs, d’individus, les institutions de défense des droits de l’homme et les ONG.

Les étapes de consultation des parties prenantes et les processus associés sont également réduits. Ainsi, les entreprises ne seront plus tenues de consulter ces parties prenantes lors de l’élaboration de plans renforcés de prévention et de mesures correctives. Elles ne seront pas non plus obligées de les solliciter lors de décisions de rupture ou de suspension d’une relation commerciale, ni lors de l’établissement d’indicateurs qualitatifs et quantitatifs de suivi.

Il convient également de mentionner que l'application des exigences de diligence raisonnable en matière de développement durable pour les plus grandes entreprises serait repoussée d'un an (jusqu'à juillet 2028), tandis que l'adoption des lignes directrices serait avancée à juillet 2026. Concernant les sanctions, les plafonds minimums des amendes sont supprimés, et les règles de responsabilité sont modifiées, notamment sur les actions de groupe. De la même manière, les entreprises ne seront plus dans l’obligation d’instaurer des conditions raisonnables permettant aux parties lésées d’engager des actions pour faire valoir leurs droits.1

Il n’est également plus obligatoire de rompre les contrats avec les fournisseurs défaillants. Par ailleurs, les grandes entreprises ne pourront demander à leurs fournisseurs de moins de 500 employés uniquement les données figurant dans la Norme volontaire pour les micro-, petites et moyennes entreprises non cotées (VSME).2 Aussi, les nouvelles orientations proposent que les entreprises évaluent leur chaîne de valeur tous les cinq ans au lieu de le faire chaque année.

Cependant, l’article 7 de la CS3D stipule que les procédures de vigilance doivent être revues tous les deux ans. Ce point n'a pas été modifié dans les récentes mises à jour de la CS3D. Un autre aspect inchangé concerne les critères de seuils. Ainsi, la loi s’applique aux entités comptant au moins 1 000 salariés et ayant enregistré un chiffre d'affaires net supérieur à 450 millions d'euros à l’échelle mondiale au cours d'un exercice. Pour les entreprises non européennes, le critère requis demeure un chiffre d’affaires supérieur à 450 millions d’euros sur le territoire de l’Union européenne.

Les enjeux restent également inchangés et couvrent les aspects environnementaux et les droits de l’homme. Les mesures à mettre en place n'ont pas été modifiées ; elles incluent l'identification des risques, la cartographie des impacts, les stratégies d'atténuation des risques, la gestion des risques, les mécanismes d'alerte, et le dispositif de suivi. Enfin, le contrôle du devoir de vigilance n’a pas été modifié. L'autorité chargée du devoir de vigilance conserve les pouvoirs d'enquête, de contrôle et de sanction. Ces éléments soulignent la stabilité de certains aspects cruciaux de la CS3D, offrant ainsi une continuité essentielle pour les entreprises soumises à cette législation.

Conformément à ce qui a été mentionné précédemment, l’Omnibus présente également des modifications pour la taxonomie verte et la CSRD dans le but d'harmoniser toutes ces normes. À titre d’exemple, l’un des principaux changements apportés à la CSRD et à la taxonomie verte est qu’elles appliquent désormais les mêmes critères de seuils que ceux de la CS3D mentionnés dans ce texte. Par conséquent, il y a une réduction de leur champ d’application, ne touchant désormais plus que 20 % des entreprises initialement concernées par la CSRD.

Ces ajustements resteront soumis à l’approbation du Parlement européen et du Conseil de l’UE avant leur adoption finale. Avec ces modifications, la Commission Européenne tente de trouver un équilibre entre les exigences ESG et la compétitivité économique. Bien que cette simplification rassure de nombreuses entreprises, elle soulève aussi certaines préoccupations, notamment celle de voir une transparence réduite sur les impacts environnementaux et sociaux, ainsi qu’un affaiblissement du devoir de vigilance européen.

Pour les entreprises concernées, les échéances de 2028 et 2030 peuvent sembler lointaines, mais la transition vers des pratiques ESG reste inévitable. Cette réduction des exigences réglementaires devrait être considérée comme une opportunité non pas de ralentir, mais d’anticiper. Enfin, même pour les entreprises non soumises au reporting obligatoire, il serait pertinent d’instaurer un reporting volontaire afin de répondre efficacement aux demandes d’information des entreprises donneuses d’ordre.

 

1 En France la loi de devoir de vigilance prévoit la responsabilité civile et ça ne changerait pas à priori, mais la responsabilité civile ne serait pas une règle dans tout l’Europe 
2 La Norme volontaire pour les micro-, petites et moyennes entreprises non cotées (VSME) vient du fait que les PMEs ne sont plus soumises à la CSRD ; mais elles peuvent réaliser un reporting volontaire sur la base de cette norme